Un petit texte écrit après avoir rendu visite aux séquoias du sud de la Californie.... Mariposa, 1998
Je suis un séquoia vénérable, mais je ne suis pas pour autant le plus vieux de ma bande, mon plus proche voisin, assez irascible d'ailleurs, avoue 2500 ans. Moi, j'ai germé ici, il y a tout juste 2000 ans, et j'ai bien meilleur caractère que lui, affaire de génération sans doute.
Quand on est un arbre, même le plus grand du monde, on a quelques contraintes. La plus importante est certainement de ne pas pouvoir bouger, ce qui fait que l'on a toujours les mêmes compagnons et le même paysage devant soi. En ce qui concerne les compagnons, j'ai tort de dire qu'ils ne changent jamais... combien en ai-je vu naître et mourir au cours de ma longue vie ! Du petit scion qui émerge à peine de la neige au printemps et devient un grand arbre en quelques dizaines d'années avant de dégénérer et de tomber mort au sol... combien j'en ai vus, au cours des siècles, tenter de monter aussi haut que moi et vaciller longuement avant de choir lamentablement et de pourrir au sol ... aucun n'a pu m'atteindre ! Ni me survivre d'ailleurs ! Ne sommes nous pas, mes congénères et moi-même, les plus hautes créatures vivantes sur Terre ?
Je vous ai dit que notre unique handicap était de ne pouvoir bouger. Mais nous, arbres, et encore plus nous autres, les séquoias, sommes des êtres patients et observateurs : par exemple, ce que nous voyons ne change jamais, puisque nous sommes immobiles, c'est ce que vous croyez, n'est-ce pas ? Quelle erreur ! En 2000 ans de vie, j'ai vu changer si souvent le paysage qui m'entoure... certains hivers, la neige était si épaisse qu'elle alourdissait mes branches jusqu'à tenter de les rompre. Je n'y voyais plus rien, tout l'horizon était bouché, le froid était redoutable. D'autres années, au printemps, la pluie tombait tellement fort et tellement longtemps que tout pourrissait à mes pieds. J'ai connu aussi des étés brûlants et des jours où le vent faisait courber les troncs des autres arbres. Mais moi, je tenais, toujours, droit et fier, mon écorce solide et mes racines puissantes regardant cette nature à mes pieds, frémir ou geler, du haut de mon inaccessible faîte.
Une chose, une seule, me bouleverse tout particulièrement, l'orage, parce que ce phénomène est lié pour moi à un souvenir pénible. Imaginez ce que peut être ici, dans nos montagnes, un gros orage de fin d'été, quand tout s'arrête, quand le vent tombe d'un coup, quand on n'entend plus que les craquements des herbes sèches et des branches mortes... tout à coup, le ciel s'obscurcit, de gros nuages roulent, le vent se lève, accompagné de lourdes gouttes de pluie. Un premier éclair zèbre l'horizon, puis un autre, avec un grondement de tonnerre qui se répercute de rocher en rocher et fait vibrer sourdement les montagnes ; et tout qui se met à s'agiter violemment, les arbres qui se tordent sous les rafales de vent et de pluie, le ciel qui s'embrase à chaque seconde et... mais, je m'emporte, pardonnez moi...
C'est un jour comme celui-là que mon meilleur ami, germé peu de siècles après moi est tombé, foudroyé par un éclair plus violent que les autres, son immense tronc s'est fendu et il est tombé, balayant tout dans sa chute, ne laissant au sol que la souche que vous voyez là, pas loin de moi.
Ah, je ne peux pas m'empêcher d'en parler avec douleur... pourtant la foudre est aussi pour notre race une bénédiction. Vous ne comprenez pas, après ce que je viens de vous dire ? Laissez-moi vous expliquer : contrairement à d'autres sous espèces qui poussent n'importe où et dans n'importe quelles conditions, nos graines ont besoin d'un sol libre, sans ces inutiles plantes qui peuplent les sous-bois, aéré et clair, hors de l'ombre des branches des arbres ordinaires, pour germer. Quoi de plus efficace que le feu pour rendre parfaitement propre l'endroit où sera déposé notre précieuse semence ? D'autant plus que les cendres des arbres consumés sont le meilleur des engrais. Et la foudre amène le feu dans la forêt et effectue d'une façon très efficace ce travail préliminaire pour que nos enfants poussent bien. Je vous entends déjà vous écrier que si la forêt flambe, nous flambons nous aussi, puisque après tout, nous sommes aussi des arbres ! Laissez-moi rire ! Nous, nous ne brûlons pas, nous sommes parfaitement incombustibles, grâce à notre écorce épaisse si riche en tanin. Certes, nous sommes parfois un peu noircis, mais c'est plus inesthétique que douloureux, je vous l'assure. Avoir besoin de la mort des autres pour assurer notre descendance n'est pas très moral, pensez-vous ? Mais est-ce différent dans le cas d'autres espèces ? La votre, par exemple...
A propos d'animaux d'ailleurs, je peux vous dire que j'en ai vu passer beaucoup : des biches et des cerfs qui couraient à mes pieds, des oiseaux qui volaient jusqu'à mes plus hautes branches, sans parler des ours qui venaient se frotter à mon tronc rugueux, et un beau jour, j'ai vu arriver... un homme...
Le premier que j'ai vu était petit, foncé de peau, avec de longs cheveux noirs. j'avais 500 ans, il me semble. C'était le premier, mais ce ne fut pas le dernier. J'ai vu défiler toutes sortes d'humains, des explorateurs, des trappeurs, des bandits, des indiens et des blancs, certains chassaient l'ours, d'autres cherchaient de l'or et puis, j'en ai vu arriver de plus en plus, des mâles, des femelles, des petits, sortant de leurs voitures et faisant "Oh !" en me regardant de bas en haut. J'étais admiré, photographié, touché, et ceci une bonne partie de l'année. Il n'y avait que lorsque la neige recouvrait tout que mon coin devenait aussi tranquille qu'aux premiers âges.
Voyons un peu, je ne suis pas le doyen, mon cousin de Mariposa Grove a atteint vaillamment ses 2700 ans, et, comme je suis en parfaite santé, il n'y a pas de raison que je n'en fasse pas autant. Alors, je vous donne rendez-vous dans un petit millénaire, d'accord ? Vous viendrez me voir, dites ?
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2 commentaires:
Merci bodha ! J'avais été fort surprise d'apprendre que ces arbres ne brûlaient pas, mais avaient besoin d'un incendie autour d'eux pour se reproduire, ce qui pose quelques problèmes aux rangers des parcs nationaux, obligés de créer des feux "volontaires" alors qu'ils protègent la forêt de ce genre de catastrophe, pour la survie de leurs arbres fétiches !
Eh mais je me souviens de ce beau texte ! J'y ai corrigé quelques fautes de frappe ;-)
En tout cas, chapeau ! J'adore :-)
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